C’est un cercle perpétuel dans lequel je n’ai aucun effort à faire. Certaines personnes ont du mal à faire de la place dans leur mémoire. Moi, j’ai une déchiqueteuse à pensées, et tous les jours elle fonctionne à plein régime. Tout ce que j’ai écrit, tous les mots que j’ai pensé puis alignés passent dans ce gros broyeur infernal.
J’écris, et puis, j’oublie.
J’oublie tout, au point de ne jamais reconnaître ce que j’ai écrit. Il n’est pas rare que quelqu’un m’envoie par message une citation d’un de mes livres, parce que ça l’a touché ou fait rire, et systématiquement, je découvre chaque mot.
Ca provoque sans cesse cette petite appréhension : et si c’était un coup de bol ? Le fait de ne pas se souvenir, ça veut potentiellement dire que je n’ai pas la moindre idée de comment j’ai écrit, comment j’en suis arrivée là, et que, peut-être, je ne pourrais jamais recommencer et obtenir le même résultat.
C’est pour ça, sans doute, que je ne réécris jamais mes textes. Je les travaille, petit tronçon par petit tronçon, juste là où ça ne me plait pas, mais je ne réécris absolument jamais une scène entière. Soit je supprime, soit je laisse. La réécriture n’est jamais aussi bonne, et plus j’essaye, plus ça me parait forcé, difforme, atone. Mes premiers jets ont leur lot de boiteries (nombreuses) mais ils ont un ton que je ne peux performer qu’une fois. Après, si j’y réfléchis, c’est foutu.
C’est un peu comme respirer.
Tant que personne ne nous demande explicitement de le faire, on effectue cette tâche environ 22 000 fois dans une journée, sans encombre. Par contre, si on va chez le médecin, et qu’il nous dit “inspirez profondément”, ça y est, c’est le grain de sable. On réfléchit à comment respirer et tout devient bizarre. L’inspiration se fait par acoups, ou bien trop vite, ou bien pas assez, et à la fin on se demande si on doit continuer à respirer profondément, et si pas, comment on sort de ce nouveau de respiration.
Pour moi, l’écriture, c’est pareil. Tant que je n’y pense pas trop, elle me vient naturellement. Par contre si j’essaye de m’y reprendre, c’est un cacophonie étrange.
Ce matin est sorti mon second roman, et à chaque petit message s’enthousiasmant d’une phrase, du style ou d’un choix de vocabulaire, je me demande qui est l’étrangère qui a réussi à écrire ce texte, et si je saurais aller la chercher à nouveau pour le prochain. Le plus risible, c’est que j’y pense lorsque je suis loin de mes écrits.
Lorsque j’écris, c’est différent. Je mets les mots les uns à la suite des autres en me disant que je n’ai pas le temps, que j’y réfléchirais plus tard (spoiler, non, vu qu’on a dit plus haut que je ne pouvais pas réécrire).
J’espère que cette inconnue reviendra me visiter et écrira d’autres phrases qui plairont à quelques lectrices mordues, sincèrement, mais son existence me fait souvent peur. Je ne relis jamais ce que j’ai écrit une fois que c’est publié (et avant je le fais exclusivement avec l’oeil de l’autrice et non de la lectrice !). Je sais que je vais devoir lire Ca n’aurait jamais dû arriver à la rentrée pour pouvoir écrire sa suite, et j’ai beaucoup d’appréhensions.
Le fait d’oublier aussitôt que c’est écrit à quelque chose d’extrêmement confortable : pas de honte, pas de pression, pas d’attente. Pas de fierté non plus, mais j’aime beaucoup ce rapport totalement dénué d’affect vis à vis de l’écriture. J’écris comme je respire : sans trop y penser, des fois de façon bizarre, et surtout parce que j’en ai besoin.
Le reste, j’aurais tout le temps d’y penser…plus tard. Par exemple, quand toi aussi tu me partageras un passage d’Après la pluie qui t’aura fait rire, grogner ou pleurer (tout est possible avec ce roman !).
Si tu ne te l’es pas encore procuré il t’attend ici, aussi bien en format papier que numérique :
J’oublie lentement tout de ce livre, mais je sais qu’il saura te faire quelque chose, donc tu peux l’acheter les yeux fermés !
En attendant, le troisième roman est déjà sur la table et son écriture devrait -hopefully- toucher à sa fin mi-juillet. Seulement, maintenant tu le sais, il y a encore les relectures, les corrections, les mises en page, ça sera LOIN d’être terminé pour lui et moi !
Passe un doux week-end et on se retrouve bientôt, assurément
Emilie
C'est vraiment super interessant, je me reconnais beaucoup dans ce processus parce que omg je déteste retravailler mes textes, donc je ne me relis quasiment jamais et quand je le fais je suis vraiment en mode "j'ai écrit ça moi ?"
Je déteste me relire, c'est le cas depuis l'ecole 😆 et j'ai parfois cette impression de "jamais vu" sur mes propres textes c'est déstabilisant et en même temps ça me donne confiance. Ah tiens j'écris pas que de la merde en fait 🤔😂